C'est dans la joie quotidienne de générer une émotion que je trouve la motivation pour avancer

par Davide Tammaro

Les couleurs chaudes des toiles de Van Gogh réchauffent ce samedi pluvieux. Je rencontre Nadia Frisina, cheffe exécutive du Six Senses Rome, après avoir visité l'exposition du peintre hollandais au Palazzo Napoleone. « Le jaune des champs de blé, le bleu profond, les coups de pinceau épais. C'est l'un de mes artistes préférés. Fou, incompris, vrai », dit Nadia en m'accueillant chaleureusement. Les coïncidences, parfois, ressemblent au destin. Nous discutons des portraits de semeurs, de paysans travaillant la terre. Art et cuisine, je sens que ce sera un beau voyage.

« J'ai commencé ce travail presque par hasard, en Sicile, au lycée. J'ai toujours eu un esprit indépendant ; je voulais subvenir à mes besoins. » De là, une carrière fulgurante a commencé. « À 29 ans, je suis devenue la plus jeune cheffe exécutive d'Italie. » L'adrénaline du défi, la satisfaction d'une réussite prestigieuse. Nadia s'est retrouvée à la croisée des chemins : terminer ses études de droit ou poursuivre une carrière de chef. Le choix était évident. « Mes parents ne me comprenaient pas ; pendant un an, ils ne m'ont pas adressé la parole. Mais j'ai senti que c'était ma voie. »

Des gens se disputaient l'héritage, l'argent, la propriété. En studio, Nadia était triste. « J'avais besoin de couleur. Mes invités me l'ont donnée, avec leurs histoires et le monde qu'ils ont apporté avec eux. J'ai toujours ressenti une grande responsabilité envers eux. Recevoir, c'est comme ouvrir les portes de sa maison. C'est dans la joie quotidienne de susciter une émotion que je trouve la motivation pour continuer. Si je m'imagine cuisiner pour vous et votre petite amie à la porte, je perds courage. »

« Beaucoup de peintres ont peur de la toile blanche, mais la toile blanche a peur du peintre passionné qui ose. » Je repense aux mots de Van Gogh tandis que Nadia me raconte ses toiles blanches : d’abord son expérience dans un grand hôtel de Pékin, puis à Macao pour gérer l’ouverture de nouveaux lieux. « J’étais curieuse d’explorer la culture asiatique. Je voulais m’immerger dans un monde qui commençait tout juste à se faire connaître. Un peu comme Van Gogh lorsqu’il quitta son village pour Paris à la rencontre des grands artistes et découvrir les dernières tendances. Ce fut une expérience époustouflante. »

L'Asie, Amsterdam, puis retour en Asie. Et la Sicile ? « Je l'emporte toujours avec moi. Être authentique, c'est laisser transparaître ma vraie nature, sans masque. Ancrée dans mes valeurs et mes émotions. Il y a toujours un peu de ma terre natale dans mes plats, surtout les agrumes. La cuisine ne doit pas être autoréférentielle. Et il ne suffit même pas qu'elle soit confortable. Elle doit être consciente et engagée, véhiculer des valeurs, éduquer. » C'est aussi pourquoi Nadia a choisi le projet Six Senses, où la durabilité ne tolère aucun compromis.

Nous grimpons sur le toit fraîchement ouvert. Un fin voile rouge tombe lentement sur le ciel humide de Rome. Si vous aviez une toile, un pinceau et une palette, comment décririez-vous votre idée de la cuisine ? « Beaucoup de jaune et de bleu. Et le volcan. La Sicile et moi. Peut-être qu'un jour je reviendrai pour boucler la boucle. »

C'est le soir. Le ciel se pare d'une robe d'étoiles qui illumine les mots de Van Gogh inscrits sous la plaque du semeur. « Je suis convaincu que l'histoire de l'humanité est comme celle du blé. Si nous ne sommes pas semés en terre pour germer, nous sommes moulus pour devenir du pain. » Oui, l'histoire de Nadia nous enseigne que le secret pour devenir notre propre artiste et peindre notre propre chef-d'œuvre est de s'écouter soi-même. Cultiver son talent, le laisser s'épanouir et le partager. Le reconnaître chez les autres et le nourrir.

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